Discours du Général de Larminat, à Bordeaux le 3 mai 1945

Discours d'Edgard de Larminat

Je vous remercie de la réception qui a été faite à nos soldats qui viennent de libérer Royan et Grave, et qui méritent cette réception. Je désire ici, devant les édiles de la ville de Bordeaux, devant les représentants des soldats qui ont libéré le port, je désire tirer quelques conclusions des évènements qui viennent de se passer. 

Je parlerai librement, car je suis un Français libre, affranchi au sens exact du terme, un homme qui a rompu en 1940 avec tous les liens qui pouvaient le retenir de suivre sa conscience sur le plan national : liens de famille et de milieu, de classe, de caste, un homme qui entend rester libre de ces liens. 

Je parlerai franchement, même rudement. J'en ai le droit, étant de ceux qui ont dit "NON", quand d'autres dans cette ville même disaient "OUI" à l'ennemi. J'en ai aussi le devoir. Depuis 4 ans 1/2, je commande des hommes, des volontaires qui ont tout donné d'eux-mêmes pour leur Pays sans rien réserver. Je suis moralement obligé de porter témoignage de ce qu'ils avaient dans le cœur en offrant leurs vies. 

Ces volontaires ont donné un magnifique exemple d'idéalisme, de désintéressement. Et ceci comporte en contrepartie des obligations pour ceux qui n'ont pas fait les mêmes sacrifices. 

Il y avait en France, avant cette guerre, trop d’égoïsme, à Bordeaux peut-être plus qu'ailleurs parce que c'est une ville riche, égoïsmes individuels, égoïsmes de famille, de clan, de cités, de classe, et c'est cela qui nous a perdus.  

Et c'est ce qui doit changer. Ce n'est pas pour le service de ces égoïsmes que combattent volontairement des Français depuis 4 ans 1/2 ; ce n'est pas pour enrichir des Bordelais que se sont faits tuer à la point de Grave et de Royan de braves garçons de chez nous.  

Les efforts, la peine, le sang dépensés pour libérer le port de Bordeaux ont été donnés pour la communauté toute entière, et non pour tel ou tel intérêt particulier ou local. C'est à cette communauté française que devra bénéficier le travail de Bordeaux libéré. 

Et s'il doit en coûter des sacrifices à Bordeaux, ces sacrifices seront bien peu de choses à côté de ceux qu'auront faits bien des Français. 

Je m'adresse ici aux représentants des Grands Corps de Bordeaux pour leur demander de faire comprendre cette obligation à tous les ressortissants. 

Je veux citer un cas comme exemple. Je suis un vieux Colonial. Je déclare que le port de Bordeaux n'a pas été libéré par nos volontaires pour que les maisons de commerce colonial de la ville reprennent leur négoce avec leurs méthodes d'antan. Car le moins que j'en puisse dire, pour rester modéré, c'est que ces méthodes étaient certainement favorables aux intérêts des actionnaires, mais non aux intérêts de la Nation et de son Empire, sur le plan économique, sur le plan moral, sur le plan social. 

Je dois parler aussi du cas des entrepreneurs français qui ont construit pour les Allemands les casemates bétonnées des positions de Grave et de Royan. Nos hommes ont dû durement se battre pour prendre ces casemates. Nous ne reprochons pas aux entrepreneurs de les avoir construites, car nous savons que la loi du vainqueur est implacable. Mais nous déclarons qu'ils ne doivent rien conserver de l'argent qu'il leur a été versé pour ce travail. Car cet argent, ces billets sont imprégnés du sang français. Il ne peut y avoir dans un tel cas de marché de bénéfice licite. C'est une obligation, sous peine de déshonneur, de n'en rien conserver.

C'est pour ces entrepreneurs une autre obligation d'apporter aux travaux de la reconstruction nationale la même conscience, le même soin, la même diligence qu'ils ont apportés aux travaux prescrits par les Allemands. Si nous en jugeons par la qualité des casemates de Grave et de Royan, nos nouveaux ponts seront solides. 

La cité bordelaise a un devoir, celui de prendre en charge les familles de ceux qui sont morts, ou mutilés incapables de travailler en se battant en volontaires pour la libérer. Il ne faut pas dire "L'administration s'en chargera". Non, Bordeaux est assez puissante pour prendre à son compte ces vieux parents, ces veuves, ces orphelins. Et pas sous forme d’œuvres de charité ou d'assistance, sous la forme officielle, garantie par les Grands Corps avec lesquels le Colonel de Milleret sera chargé par moi de régler cette question. 

Bordeaux a encore un devoir, celui de s'occuper des blessés soignés dans ses hôpitaux, ou dans ses environs. Il faut que ces hommes soient entourés, choyés. L'administration ne peut leur donner que l'indispensable. Les Bordelais, les femmes de Bordeaux doivent apporter le superflu nécessaire à un homme qui souffre, cloué sur un lit d'hôpital. Je veux que, la prochaine fois que je visiterai des blessés à Bordeaux, je trouve au chevet de chacun une petite table avec une nappe propre, des fleurs, des livres et journaux, de menues gâteries. Je veux aussi qu'ils aient une veste de pyjama par-dessus leur chemise d'ordonnance ou leur pansement.

Je veux aussi que le jour où ils pourront sortir, on leur trouve des vêtements, si leur uniforme est hors d'usage. Tout cela leur est dû. 

Je bois, en même temps qu'aux Combattants de Grave et de Royan, à la prospérité de Bordeaux au Service de la Nation. 

 

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